Edgar Allan Poe est un auteur américain né à Boston le 19 janvier 1809 et mort à Baltimore le 7 octobre 1849. Il fut romancier, poète, novelliste et critique littéraire tout à la fois. Il est l'un des auteurs américains les plus connus, et reste encore aujourd'hui une figure principale du mouvement romantique. Ses textes les plus connus sont ses contes (rassemblés sous les fameux recueils des Histoires Extraordinaires et des Histoires Grotesques et Sérieuses) comme Le scarabée d'or ou La lettre volée, et ses poèmes comme Le Corbeau. Il fut d'abord traduit en français par Isabelle Meunier ; néanmoins, les traductions actuelles qu'on peut trouver de Poe ne sont ni plus ni moins que celles faites par Charles Baudelaire, le poète français.
Le texte présenté ici est l'un de ses contes les plus fameux, appelé "Double Assassinat dans la rue Morgue" ("Murders in the rue Morgue" en anglais). Il fut pour la première fois édité dans un journal en 1841, puis dans un recueil en 1845. En voici le synopsis : le texte commence avec une réflexion semi-théorique sur l'importance de l'analyse dans l'esprit humain, ce qui permet d'introduire le personnage principal, M. Dupin. L'histoire commence ensuite. Elle se déroule à Paris, en 18.. (Poe ne détaille pas plus la date). Le narrateur raconte sa rencontre avec le dénommé Dupin, un Français extravagant et taciturne vivant en marge de la société, possédant une capacité de réflexion et d'analyse absolument épatante. Pour le prouver, le narrateur raconte comment Dupin, en le regardant marcher, devine ce à quoi il pense, avec une précision diabolique. Après ce paragraphe étonnant, le narrateur explique que Dupin et lui, marchant dans la rue, avisent les gros titres des journaux, signalant un assassinat des plus étranges dans la rue Morgue*. Deux femmes ont en effet été tuées dans leur maison, alertant les voisins par leurs cris. Seulement, lorsque les voisins défoncèrent la porte pour porter secours aux deux victimes, il n'y a ni trace de vol, ni d'effraction, ni de tueur. Dupin décide alors de résoudre l'affaire par l'analyse...
*La rue Morgue, comme l'ensemble des rues, places ou boulevards nommés dans le texte, n'existe pas. Baudelaire, dans sa traduction, explique d'ailleurs que Poe n'est jamais allé à Paris.
Bien entendu, je ne vais pas dévoiler la fin ni trop détailler, afin de ne pas gâcher le plaisir de ceux qui pourraient avoir envie de lire ce texte après avoir lu ce commentaire. E.A.Poe signe là un texte original : en effet, avant cette nouvelle, il n'existait que très peu d'écrits dont le but est d'afficher la résolution d'un crime. Poe est, à ce titre, considéré comme l'un des inventeurs du roman policier. On retrouve ici tous les ingrédients nécessaires à une bonne enquête policière : un crime, évidemment, un lieu du crime étrange, un mobile flou et un "détective" hors normes.
Le détective mérite d'ailleurs d'être développé. Dupin est un personnage intriguant, dans tous les sens du terme. Français - ce qui amène d'ores et déjà à l'esprit des lecteurs de l'époque un certain cliché -, il vit la plupart du temps dans le noir ; il ne sort guère que la nuit, et le jour, tire ses rideaux et allume juste assez de bougies pour lire commodément. Plusieurs fois dans le texte, Dupin clame son irrespect envers les forces de l'ordre : bien qu'il leur reconnaisse une grande efficacité dans la collecte des preuves et des indices, il leur reproche leur manque total d'analyse et d'imagination, pour peu que le crime sorte de l'ordinaire. Alors que lui - qui n'est pourtant pas détective, ni représentant de l'ordre d'une quelconque manière -, avec les mêmes indices, trouve la solution aussitôt. En d'autres termes, on voit ici que Dupin pose des bases depuis souvent réutilisées.
Car, en y réfléchissant, il apparaît flagrant la similitude entre Dupin et d'autres détectives célèbres : prenons le personnage d'Arthur Conan Doyle, Mr. Sherlock Holmes. Si, à la différence de Dupin, Holmes est véritablement détective, il existe de grandes similarités. Ils sont tous deux taciturnes, dotés d'une incroyable faculté d'analyse, et légèrement méprisants du reste du monde, y compris et en particulier des forces de l'ordre "habituelles". On retrouve la même relation narrateur-Dupin dans le couple Holmes-Dr.Watson.
Cependant, n'allez pas croire que Doyle est victime de plagiat. Son Sherlock Holmes est un personnage à part entière, ses aventures complètement différentes. Disons plutôt qu'Holmes et Dupin ont été taillés par la même hache. Et, de toute manière, Holmes lui-même s'en dénit farouchement : A.C.Doyle fait dire à Watson dans "Une étude en rouge", le premier Sherlock Holmes : "Vous me rappelez le Dupin d'Edgar Allan Poe. Je ne me doutais pas qu'il existait ailleurs que dans les livres des phénomènes de ce genre", ce à quoi Holmes répond avec irritation qu'il considère Dupin comme inférieur, car trop cabotin et mystificateur dans ses raisonnements. Il faut savoir que Doyle a été grandement influencé par Poe ; c'est donc plus une sorte d'hommage qu'il fait à un de ses auteurs favoris.
J'ai pris Holmes comme exemple, mais j'aurais pu en prendre d'autres : Hercule Poirot, Rouletabille, Miss Marple, Maigret, Dirk Gently... Cet exemple n'est là que pour appuyer un raisonnement plus ou moins admis par les personnes ayant étudié la question : en créant Dupin, E.A.Poe crée un modèle, un patron de personnage, celui du détective taciturne et intelligent, parfois décliné comme détective privé.
Pour présenter Dupin, Poe se fend d'une longue introduction destinée à faire réfléchir le lecteur sur la réflexion elle-même, et plus précisément sur l'analyse. Il déplore l'importance qu'on donne à l'analyse alors que personne ne peut vraiment la définir ; il prend pour exemple le jeu d'échecs, considéré comme un jeu d'analyse par excellence. Poe tend ici à démontrer le contraire, et qu'un bon joueur d'échecs est avant tout un joueur attentif : d'après lui, neuf fois sur dix, le joueur gagnant la partie est celui qui se laise le moins distraire. C'est pourquoi il préconise de "mesurer" la capacité d'analyse via un autre jeu : le jeu de dames. En effet, le jeu de dames suit des règles beaucoup plus simples et ne comporte qu'un seul type de pion (du moins au début de la partie). Une victoire au jeu de dames ne peut donc être dûe qu'aux véritables capacités du joueur, et non pas à la distraction de son adversaire. Cette théorie se base en partie sur les théories d'Edmond Hoyle, auteur de plusieurs livres sur le jeu.
Après quoi, les capacités de Dupin sont relatées de manière neutre, ce qui renforce peut-être encore l'impression de puissace se dégageant de l'analyse de Dupin : en voyant le narrateur tour à tour trébucher, lever les yeux au ciel et s'accroupir, Dupin déduit quelle suite d'idées logiques son ami suit (on pourrait utiliser ici l'expression anglaise "train of thoughts", qui retranscrit bien l'idée de suite d'idées qui s'enchaînent en continu), et en arrive à deviner ce qu'il pense après un quart d'heure de marche.
Ce paragraphe, bien qu'a priori accessoire - puisqu'il n'apporte rien à l'histiore elle-même - est en réalité d'une importance non négligeable : il définit à la fois les capacités et les méthodes de Dupin, sur lesquelles tout le reste de la nouvelle s'articule.
Autre point qui mérite qu'on s'y arrête : c'est l'étrangeté du crime en lui-même. En effet, les deux victimes sont tuées sans témoins, et le temps que ceux-ci arrivent, il n'y a plus de tueur - alors que la seule sortie praticable était justement empruntée par les témoins à ce moment-là ! Le concept du "tueur qui se volatilise" est toujours efficace est a donné lieu à des affaires célèbres : le fameux "Mystère de la Chambre Jaune" de Leroux ou "Le Ruban Moucheté" de Doyle à nouveau, pour ne citer qu'eux. Poe a ainsi écrit une loi fondamentale de tout bon "polar" : le crime doit être original. Si cet axiome semble aujourd'hui aller de soi, il n'en était pas de même au XIXe siècle.
En conclusion, ce texte peut être considéré comme un "fondateur" du style policier : il pose les bases, les ficelles d'une mise en scène qui guidera la plupart des auteurs de polar célèbres, Doyle, Christie, Cornwell... Il a également contribué grandement à la célébrité de Poe, peut-être parce que plus proche d'un large public ; ses autres nouvelles, basées sur des phénomènes étranges ( magnétisme, sorcellerie...), ont parfois effrayé le lecteur lambda.
Avec "Double Assassinat dans la rue Morgue", Edgar Allan Poe signe ici une nouvelle impressionnante, tant par sa qualité en soi que par le rayonnement et la pérennité qu'elle a engendré au cours des années.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire